Daniel Odija, « La scierie »

Daniel Odija, La scierie, traduit du polonais par Margot Carlier, éd. Gallimard,
coll. « Du monde entier ».

Le journaliste et écrivain Daniel Odija est l’auteur de plusieurs œuvres (romans, nouvelles et BD) dont, malheureusement, une seule accessible au public francophone : La scierie (Tartak, en polonais).

L’histoire prend place dans une Pologne provinciale postcommuniste, et ce n’est pas exactement un vent de liberté qui souffle sur ce microcosme articulé autour d’une scierie, d’un lac et d’une vieille coopérative ; c’est plutôt le vent mauvais d’une liberté encombrante, limitée, de fait, par une indigence matérielle, affective et intellectuelle qui touche presque tous les protagonistes du récit. Chômage, vodka, violence et solitude composent la sombre existence de chacun à des degrés divers. Pourtant, une forme d’espoir et d’étranges évasions (éthyliques ou authentiquement spirituelles, il est difficile d’en décider) percent de lumineux et célestes rayons l’épais rideau gris du quotidien.

Le personnage principal du roman, Jozef Mysliwski, a une idée tenace : gagner de l’argent et étendre son modeste empire. Après un lucratif élevage de renards destinés à finir en manteaux de fourrure, son intérêt se porte sur l’industrie du bois et il fait construire une scierie sur des terres rachetées aux paysans grâce à la fortune acquise par le commerce des peaux. Un voisin, Sekowiak, que sa paresse a conduit à planter des arbres sur ses terrains pour éviter d’avoir à les cultiver, lui apporte la première manne qui l’enrichit rapidement. Jozef achète ensuite des machines de plus en plus nombreuses, de plus en plus performantes… mais confie le développement de son activité à un jeune commercial de moralité douteuse.

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La guerre soviéto-polonaise vue par Isaac Babel : « Cavalerie rouge »

Isaac Babel, Cavalerie rouge, traduit du russe par Irène Markowicz et Cécile Térouanne, éd. Actes Sud, coll. Babel.

Dans le recueil de nouvelles Cavalerie rouge, l’écrivain juif ukrainien Isaac Babel (également auteur des Contes d’Odessa) évoque sa participation à la guerre russo-polonaise de 1919-1921 (appelée aussi guerre soviéto-polonaise) au sein de l’armée russe, dans une prose poétique dont la beauté et la subtilité offrent un contraste saisissant avec la brutalité et la violence des faits relatés.

L’écrivain, bolchevique convaincu, s’est engagé dans l’Armée rouge en guerre contre la « Pologne blanche », pour une Russie devenue soviétique, désireuse de mettre en place un régime communiste dans ce pays voisin qui venait tout juste de recouvrer son indépendance à l’issue de la Première Guerre mondiale, après avoir été partagé entre la Prusse et l’Empire russe. Babel a participé à cette campagne sous le commandement de Semion Boudionny, officier de cavalerie plusieurs fois mentionné dans l’ouvrage.

Les nouvelles qui composent Cavalerie rouge sont toutes brèves (quelques pages, au plus), parfois lapidaires (deux petites pages) ; elles prennent place en Volhynie, région répartie de nos jours entre la Pologne et l’Ukraine. Les comparaisons et alliances de mots insolites, l’alternance de phrases courtes et longues, la transcription non remaniée de propos de cosaques, soldats, juifs de Volhynie… toutes les caractéristiques du style de l’écrivain concourent à produire un effet de saisissement. Qu’il raconte la vengeance d’un soldat blessé ou bafoué, la solitude d’un bivouac improvisé dans l’attente de nouveaux ordres, ou les travers obscurs de personnalités troubles ou héroïques, le style de Babel, acéré comme une flèche, atteint sa cible.

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Isaac Babel, « Contes d’Odessa »

Isaac Babel, Contes d’Odessa, suivi de Nouvelles. Traduit du russe par Adèle Bloch et Maya Minoustchine, Gallimard, coll. L’Imaginaire.

Né en 1894 dans une famille juive d’Odessa, Isaac Babel est un écrivain juif d’expression russe. Partisan convaincu de la révolution de 1917, il s’engage dans l’Armée rouge ; proche de Maxime Gorki, il garde cependant, en tant qu’écrivain, son caractère propre, et ses écrits ne reflètent nullement le style « réaliste soviétique ». Cela ne peut que contribuer à le rendre suspect, et au temps des grandes purges des années 1930, il est considéré comme un espion. Arrêté en 1939, il est condamné et fusillé en 1940. Ses œuvres ne paraîtront que dans les années 1950, au moment de la déstalinisation.

Dans les Contes à proprement parler, il décrit dans une langue particulièrement vive et colorée la vie des Juifs de sa ville natale : marchands, bandits, loqueteux… tous habitants d’un ghetto nommé la Moldavanka. Il est question, notamment, des aventures de Bénia Krik, devenu « le Roi » du quartier après avoir affronté victorieusement Tartakovski, surnommé « Juif et demi » à cause de sa fortune et de son audace, et propriétaire de nombreux magasins dans la Moldavanka.
Lors d’une descente dans les locaux de Tartakovski, un comparse maladroit de Bénia Krik cause la mort d’un commis, Joseph Mouguinstein, qui reçoit une balle dans le ventre. « Le Roi » promet à la tante de la victime une pension à vie, puis il s’adresse à elle en ces termes :

« – Tante Péssia, dit alors Bénia à la petite vieille échevelée qui se roulait par terre, si vous avez besoin de ma vie, prenez-la, elle est à vous, mais tout le monde peut se tromper, même le bon Dieu. Une énorme erreur a été commise, Tante Péssia. Mais n’était-ce pas une erreur de la part du bon Dieu d’établir les Juifs en Russie pour qu’ils y soient tourmentés comme en enfer ? Qu’y aurait-il eu de mal à ce que les Juifs vivent en Suisse, où ils auraient été entourés par des lacs de tout premier ordre, l’air de la montagne et rien que des Français ? Tout le monde peut se tromper, même le bon Dieu. Écoutez-moi de toutes vos oreilles, Tante Péssia. Vous avez cinq mille roubles en main et vous recevrez cinquante roubles par mois jusqu’à votre mort, puissiez-vous vivre jusqu’à cent vingt ans. Joseph aura des funérailles de première classe : six chevaux pareils à six lions, deux corbillards avec des couronnes, le chœur de la synagogue de Brody, et c’est Minkovski en personne qui viendra chanter l’office des morts pour votre fils… »
(« Comment cela se passait à Odessa » (1923), op. cit., p. 35-36.)


Arrière-cour dans l’ancien quartier juif de la Moldavanka, à Odessa. Photo : Adam Jones from Kelowna, BC, Canada, CC BY-SA 2.0 https://creativecommons.org/licenses/by-sa/2.0, via Wikimedia Commons

Puis, dans des nouvelles qui figurent en deuxième partie de l’ouvrage, Isaac Babel met en scène d’autres personnages hauts en couleur ; par exemple, ce commerçant contraint de se loger une dernière nuit à Orel avant de quitter la ville à cause d’une ténébreuse affaire, qui trouve refuge chez une prostituée sensible à son charme philosophique désarmant.

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Fuite vers l’Ouest. « Stern 111 » de Lutz Seiler

Stern 111, de Lutz Seiler, traduit de l’allemand par Philippe Giraudon, éditions Verdier, collection Der Doppelgänger, 2022.

En 1989, au moment de la chute du mur de Berlin, Inge et Walter Bischoff décident de quitter leur ville de Gera, en Thuringe, côté Est, pour passer à l’Ouest, confiant la garde de leur maison à leur fils Carl. Surpris par leur démarche, le jeune homme qui se rêve écrivain – poète, plus précisément – reste tout d’abord « à son poste », puis quitte lui aussi sa ville natale pour Berlin-Est à bord de la voiture paternelle, une Shiguli entretenue avec passion par Walter.

Dans la capitale où la chute du régime soviétique engendre un chaos aussi créatif que destructeur, Carl fera la rencontre d’un groupe d’extrême gauche, l’A-guérilla, qui tente par tous les moyens de sauver de la destruction les anciens immeubles en les occupant illégalement. La formation de maçon de Carl lui permettra d’être rapidement recruté par cette équipe haute en couleur, menée par un berger idéaliste, Hoffi, et sa chèvre nourricière nommée « Dodo ». Pendant que Carl met en pratique ses connaissances, se découvre de nouveaux talents – il devient serveur dans le bar improvisé de l’immeuble appelé « le Cloporte », « un café pour les travailleurs », tout en participant à l’entretien de ce lieu emblématique de la lutte contre le capitalisme et ses projets immobiliers – et tombe dangereusement amoureux, ses parents poursuivent leur périple à l’Ouest, d’une ville à l’autre, d’un travail à un autre ; toujours dans une admiration sans faille des GI américains présents sur place, pour Inge, tandis que son mari transporte partout sur son dos son précieux accordéon, dont on découvrira par la suite le rôle fondateur dans leur projet de départ. Autre objet important, un poste de radio de marque Stern (modèle « Stern 111 »), qui donne son titre au roman et jouera lui aussi un rôle essentiel, dévoilé à la toute fin du roman.

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Evgueni Zamiatine : « Nous »

Evgueni Zamiatine, Nous, éditions Actes Sud Babel, 2021. Traduit du russe par Hélène Henry.

Nous (en russe : Мы) c’est le roman qui passionne le narrateur du Mage du Kremlin (de Giuliano da Empoli, Gallimard, 2022) et qui le conduit à répondre favorablement à l’invitation quelque peu mystérieuse de « Nicolas Brandeïs »… qui se révèle être le fameux « mage ».

Écrit en 1920 et rapidement interdit dans l’URSS nouvellement fondée – il sera même qualifié « d’infect pamphlet contre le socialisme » par l’Encyclopédie littéraire soviétique – le roman de science-fiction d’Evgueni Zamiatine dépeint une société régie par un système politique totalitaire poussé à l’extrême. Tout est transparent dans ce monde ; non seulement les immeubles, dont les stores ne servent qu’à masquer la réalisation d’unions dûment programmées par les services du Bienfaiteur, mais même les rues, recouvertes d’une fine membrane qui recueille toutes les conversations. Seule une Heure Privative (perçue par le narrateur comme une dernière imperfection destinée à être corrigée) échappe à la transparence totale entre vie privée et vie publique.

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« Province » et « L’Inondation », d’Evgueni Zamiatine

Evgueni Zamiatine, Province, traduit du russe par Marion Roman, éditions Sillage, 2013.

Ces deux récits de Zamiatine (voir l’article sur Au diable vauvert) ont été publiés à près de trente ans d’intervalle : Province en 1910, L’Inondation en 1929, juste avant le départ en exil de l’écrivain russe, trop critique envers le régime soviétique, comme il l’avait été à l’égard du régime tsariste dans les années 1900.

Province s’inscrit dans les récits satiriques de la vie campagnarde russe tandis que L’Inondation présente un drame urbain, presque à huis clos, dans un immeuble de l’île Vassilievski, à Saint-Pétersbourg.

Dans Province, dont le titre russe est : Уездное (« département », « comté »… par opposition à l’idée de grande ville), Baryba, jeune garçon corpulent qui semble avoir été taillé dans le roc ou le métal – ses camarades le surnomment « le fer à repasser » – se montre un piètre élève et se met à vivre de divers expédients après avoir été chassé de chez lui. D’intelligence faible, mais roublard et sans scrupule, il parvient non seulement à se sortir de plusieurs mauvais pas, mais aussi à en tirer profit, toujours au détriment de son semblable. Du cocher Ourvanka, en lui volant le statut de favori auprès de la riche veuve Tchebotarikha, ce qui lui assure une vie confortable pendant quelque temps ; puis au détriment de cette même veuve, en la trompant avec une pauvre servante ; puis d’un moine, qu’il vole effrontément… Même la potion de vérité concoctée par la sorcière du cru reste sans effet sur lui. Au prix (qui lui semble faible !) de la trahison d’un ami, il parviendra à ses fins : devenir un fonctionnaire respecté, sinon respectable, un agent de police « à épaulettes ».

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Fantaisie gothique. « L’étrange vie de Nobody Owens »

L’étrange vie de Nobody Owens, de Neil Gaiman et P. Craig Russell,
éditions Delcourt, 2022.

Il s’agit d’un roman de Neil Gailman (bien connu pour son très réussi Coraline, adapté à l’écran), mis en bande dessinée par P. Craig Russell, qui, justement, avait adapté le roman Coraline en BD.

L’histoire, qui appartient au genre fantastique de tendance gothique, met en scène un jeune garçon dont les parents et la sœur ont été assassinés ; meurtre non élucidé mais très vite classé, sans que l’on sache pourquoi.

Encore bébé au moment des faits, le garçon, prénommé Nobody à défaut de pouvoir dire son prénom, est recueilli par un couple de fantômes – les Owens – qui vivent parmi les leurs, dans un grand cimetière près de ce qui ressemble à une ville moyenne d’Angleterre. Adopté par les Owens, Nobody, ou Bod, a aussi un mentor, Silas, personnage majeur du récit dont le lecteur devine rapidement la nature (il n’est ni mort, ni vivant, dort dans un cercueil et a une amie roumaine…).

C’est dans cet environnement très vivant, quoique macabre, que grandit le jeune homme. Ses amis sont presque tous des fantômes ; lui seul peut les voir, et son statut de résident du cimetière – en quelque sorte ! – lui confère quelques pouvoirs surnaturels qui se révèlent précieux lorsque sa curiosité et sa hardiesse lui font récolter des ennuis. Car Bod, en grandissant, ressent plus vivement la solitude et l’isolement du monde des vivants. Il faut dire que ses camarades de jeu restent figés dans le même âge, tandis que lui devient un adolescent plein de fougue, dont la soif de connaissances s’éveille. Inévitablement se posent à lui des questions essentielles : quel est son véritable nom ? qui étaient ses vrais parents ? et pourquoi cherche-t-on encore à le tuer ?

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Une diable de nouvelle. Evgueni Zamiatine, « Au diable vauvert »

Evgueni Zamiatine, Au diable vauvert, suivi de Alatyr, introduction, notes et traduction par Jean-Baptiste Godon, éditions Verdier, collection Poustiaki, 2005.

Cette longue nouvelle de l’écrivain russe Evgueni Zamiatine (1884 – 1937) – ingénieur naval et concepteur de navires brise-glace dans son autre vie – a pour titre original На куличках, qui signifie : au milieu de nulle part, en pleine cambrousse, « à Perpète-les-Oies » ou « à Pétaouchnok », en quelque sorte, sans notion de diablerie. La traduction en français introduit donc une idée supplémentaire par rapport à l’original, mais il se trouve que la connotation méphistophélique de ce titre correspond plutôt bien à l’atmosphère et au rythme endiablés de cette histoire.

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Monsieur Proust, par Céleste Albaret

Monsieur Proust, par Céleste Albaret. Souvenirs recueillis par Georges Belmont. Dessins de Stéphane Manel. Adaptation de Corinne Maier. Éditions Seghers, septembre 2022.

Ce livre de souvenirs, très agréablement illustré, nous fait entrer dans l’univers de Marcel Proust par la porte de service, en quelque sorte, mais quelle introduction riche d’enseignements et d’émotions ! Céleste Gineste, née en Lozère, deviendra par le plus grand des hasards (son mariage avec Odilon Albaret, chauffeur de taxi parisien) employée de maison dans la demeure de l’écrivain. D’abord coursière (ou « courrière ») portant les livres de l’écrivain à ses amis, puis préposée à la délicate fabrication du café de Marcel, elle ne le voit presque jamais, reste dans la cuisine où elle reçoit ses ordres, dans l’appartement très fermé du 102 boulevard Haussmann. Puis la femme de chambre, Céline, ayant été hospitalisée, Céleste prend sa place. Commence alors une relation différente, faite d’abnégation, d’exactitude et de patience.

« “Si Monsieur Marcel a besoin de vous, [lui dit Nicolas, valet en titre] vous entendrez la sonnette. Vous posez le plateau et vous partez. Surtout ne lui parlez pas. J’insiste. Sauf bien sûr s’il vous pose une question”. Alors je suis venue tous les jours et j’ai attendu dans la cuisine. Le plus drôle est que je ne me souviens pas de m’être jamais ennuyée, à faire le pied de grue comme ça. »

Et à force d’attente, la sonnette finit par retentir… Céleste va de découverte en découverte : la chambre noyée dans un nuage de fumée (les fameuses « fumigations » censées lutter contre l’asthme), le calfeutrage des fenêtres par de lourds rideaux, l’écrivain engoncé dans de chauds tricots, toujours allongé sur son lit, au milieu de son stock de plumes Sergent-Major et de ses mansucrits…

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Migration linguistique : « Tenir sa langue », de Polina Panassenko

Tenir sa langue de Polina Panassenko
Polina Panassenko, Tenir sa langue, Éditions de l’Olivier, 2022.

D’un épisode marquant de son existence : la demande de rétablissement de son prénom d’origine, Polina, francisé en Pauline, la narratrice – reflet de l’auteur – explore en réalité un thème plus large, la différence linguistique, le cloisonnement des univers créés par le partage ou le non-partage d’une langue, l’aventure inouïe du passage entre deux langues.

Le point de départ, l’incroyable difficulté à obtenir, en France, une modification de trois lettres dans son prénom, ouvre sur un épisode significatif pour la famille de l’auteure : la dégustation méfiante des premières frites américaines apparues en ex-URSS en janvier 1990, sous le regard désapprobateur de la grand-mère maternelle.

Lentement, mon grand-père saisit un bâtonnet ramolli sur le sommet de la pile, le soulève du bout des doigts et l’observe à la lumière filtrant par le rideau de tulle. Sur la phalange de son annulaire droit, la boule de chair mauve qui couvre l’éclat d’obus contraste avec la frite. En deux poussées, il enfourne le morceau de kartofel dans sa bouche et lentement se met à mâcher, expirant l’air de ses narines par petits coups secs. Éclaireur du goût. La mastication ralentit, la frite désolée vaincue par le dentier de fabrication nationale finit de fondre dans sa bouche. Un coup de langue sur les canines en acrylique et c’est la déglutition finale. Alors ? dit ma sœur. Alors c’est une patate froide, dit mon grand-père. (Tenir sa langue, p. 21-22.)

On suit les événements des années 1990 (notamment le putsch manqué de 1991) à hauteur de l’enfant qu’était alors Polina, dans l’appartement communautaire où vivent parents et grands-parents maternels. Au fil des pages, on découvre l’histoire de la famille côté paternel, des iévreï, c’est-à-dire des Juifs. Judéité qui est précisément à l’origine de la question du changement de prénom, chaque ascendant juif ayant voulu protéger ses enfants en masquant la dangereuse origine.

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